Femme à roulettes...

Je me suis fais tout beau. Enfin du mieux que j’ai pu avec ce qu’on avait. On est samedi matin, et vous savez ce que fait un mec comme moi le samedi matin ? Non il ne se remet de la teuf de la veille, puisque j’ai pas fait de teuf la veille. Pour ça il me faudrait une vie sociale, des amis et certainement un compte Facebook ou ca dit pas que je suis anglais que je suis un champion junior de patinage artistique. Et puis, la grâce mat est un concept impossible quand on dort dans un lit de camps dans un salon envahi de chat a moins d’un mettre de sa mère qui arrête pas de parler, chouiner et ronfler en espérant qu’il y ait rien d’autre comme bruit. Je regrette le temps où je zonais dans mon lit avec des comics avant d’aller à la patinoire après une soirée mmorpg. Bref #jesuisungrosnostalgiquedepressifquivasesecouer.

Mais attendez, vous ne devinerez jamais la suite, parce que, ranger les affaires de maman ou juste faire mes devoirs, ça serait trop demander au ciel. Non, la ma mère me sort tranquilou qu’elle a discuté avec une cliente qui avait plein de soucis et qu’elle m’a désigné volontaire pour aider une petite fille qui a des problèmes scolaires à la suite d'un accident. Je suis pas a l’aise avec les enfants. En plus j’ai pas tout compris mais c’est une fillette handicapée qui a été longtemps à l’hôpital. En fait, même si j’avais voulu, j’aurais pas su dire non. Pas seulement parce que l’on ne dit pas non a maman, mais aussi que c’est super triste cette petite fille en fauteuil roulant qui n’a pas su aller a l’école (et gouter au joies du bizutage quotidien, finalement, est si triste pour l'école...).

Au moins, je me dis que je suis un gros naze de me plaindre a côté de cette fillette. Je l’imagine toute gentille, avec sa jeune brisée par un chauffard ou un truc de la sorte. Du coup, même si l’argent reste un énorme problème et un gros sujet de stresse, je prends quand même le temps d’aller acheter une petite peluche de licorne rose et blanche a paillettes. Je voulais prendre la grande... mais mes moyens m’ont fait revoir mes prétentions a la baisse.

C’est donc avec une petite peluche que je sonne a la porte de la maison de la fillette, habillé comme un dimanche et avec un sac contenant de quoi aider la petite fille.

Il faut que je me reprenne en main et je n’ai surement pas que mon corps à remuscler. Mon cerveau a également besoin d’un coup de plumeau et surtout de s’enrichir de nouvelles connaissances. J’en ai du mal à dormir la nuit car j’ai repris tous mes livres du lycée que ma mère a conservé avec l’espoir fou de me voir de nouveau éveillée. Bon il y a aussi qu’après 14 ans de coma, donc à dormir, on a juste envie de faire autre chose que cela et de rattraper le temps perdu. Je n’ai jamais été aussi hyperactive et enjouée à l’idée de prendre des cours à distance. D’abord, je dois passer mon BAC ensuite je dois passer mes autres diplômes. Je souhaite devenir psychologue. Ne me demandez pas pourquoi, ce choix s’est imposé à ma volonté lorsque je me suis posée la question sur mon avenir professionnel. Je crois qu’inconsciemment j’aurais l’impression de pouvoir mieux comprendre le monde dans lequel je me suis réveillée mais surtout mes proches et leur comportement bizarre. Me comprendre également, analyser mes réactions et voir si elles sont démesurées ou non.

Pour lors la première chose c’est le bac ! Et j’ai tout de même pu avoir une formation en ligne qui m’initie à la psycho. Et visiblement pour bien commencer ma chère mère m’a dégoté un étudiant au lycée qui pourrait m’apporter les cours et les réviser avec moi. J’attends donc de voir le phénomène. Ce qui est amusant c’est que mon ange gardien, comme j’aime surnommer mon kiné, semble aussi stressé que moi.

« Qu’est-ce qu’il y a ? » je lui demande alors que je le vois faire une grimace étrange.

« Oh rien, j’espère juste que tu ne vas pas tomber sur un de ces abrutis de lycéens qui ne pense qu’à boire et faire la fête et surtout nombriliste. »

Ce sur quoi je ne peux m’empêcher de rire. Lui et moi nous nous sommes pris d’affections mais parfois il est vraiment trop protecteur. Ca en devient presque mignon ce qui fait vraiment tâche quand on voit la carrure du bonhomme.

« Au pire des cas, tu le pends par les pieds pour lui faire peur ! » je lâche en rigolant ce qui le déride un peu.

Et au même moment, la sonnerie de la porte retentit. Mon protecteur se lève et va ouvrir la porte. (Imagine que c’est Dwayne Johnson pour la carrure).

« Oui ? » lance l’homme avec une voix grave et j’imagine son air le plus menaçant. De là où je suis-je vois uniquement le jeune homme qui fait vraiment très jeune… Pour le coup je me sens un peu ridicule. Mais je prends sur moi et surtout je vois sa tête dépitée sans comprendre pourquoi. « Laisse-le entrer au lieu de lui faire peur ! » je lance alors. « Je suis là !! » dis-je de suite après en levant le bras pour que le nouveau venu me repère. J’espère juste qu’il n’y a pas eu de quiproquo avec ma mère lorsqu’elle a parlé de moi. Parce que la connaissant et surtout ayant subi ses surnoms tous plus ridicules les uns que les autres, je sais qu’elle parle parfois de moi comme si j’étais encore une enfant. Pire qu’à mes dix-sept ans !

Je me sentais déjà nain de nature, mais là… C’est une montagne de muscles qui m’ouvre la porte et je reste sans voix, pétrifié, comme un con, avec ma licorne a la main et l’impression que ce mec hésite entre me péter la nuque avec les pouces ou à me projeter sur la lune en me soufflant dessus. Les deux solutions étant cumulables.

« heu… bonjour… je viens pour les cours…. Et je… »

C’est humain des bras de cette taille ? Sans rire mon cul est plus mince que le cou de ce type. Je crois que je me sens mal. Une voix de femme calme le malaise tout de suite. Ouf, cerbère me laisse rentrer mais je vais pas trop mon malin. Sérieusement, ce mec me marche sur le pied je suis bon pour l’amputation. Coup de bol, mes sphincters ont tenu le choc. Ouf ! Je marche quand même de façon hyper raide, pour ne pas dire coincé, et manque de me vautrer dans le tapis en rentrant dans une de ces baraques que je ne saurais pas me payer en une vie. Je regarde vite fait la déco comme un touriste allemand qui arrive en Bretagne avant de sentir le poids du regard de prédateur de Mister Muscles peser sur mon dos. Qu’il n’aille pas croire que je suis un voleur. Parce que je suis sur qu’il n’est pas du genre a appeler la police en cas de doute et je me sens trop jeune pour mourir.

Je repère une femme en fauteuil. Mince, c’est une malédiction familiale ? Un accident collectif ? Je me rends compte que maman ne m’a jamais parlé d’accident. Si ça se trouve c’est une maladie héréditaire, comme celle pour qui les stars vont chanter a la TV. Mince c’est encore plus triste. J’aurais dû insister pour prendre une plus grosse licorne. Quoique… vu la taille de la maison, elle doit déjà en avoir. Je me sens tout nul pour le coup.

Je m’avance vers la femme pour lui serrer la main. Maman m’a bien appris la politesse.

« Bonjour Madame, je suis Gwendal Merwin, le fil de Meredith. Maman m’a dit que votre fille avait besoin de soutient scolaire. Pouvez vous m’indiquer ou se trouve la fillette et heu… ca ne vous gène pas si je lui offre cette petite peluche ? »

C’est moi ou l’autre gorille est en train de se marrer ? Ca ne se fait pas aux EU de demander aux parents pour faire un cadeau a un enfant qu’on ne connait pas ?

A l’intérieur de moi, vu ce que je vois du garçon je rigole bien. Je sais l’effet que fait Chris et il peut juste paraître super rustre. Surtout lorsqu’il s’inquiète. En tout cas, c’est très pratique pour le faire passer pour on garde du corps au cas où. Quoi qu’il en soit dans la situation présente je ne crains rien alors je demande gentiment à mon ange gardien de cesser de faire peur au nouveau venu et de e laisser entrer. C’est assez mal poli que je ne l’accueille pas moi-même mais en l’occurrence, j’ai une raison valable de ne pas le faire.

Je vois le jeune homme avancé de manière très raide. Heureusement, il y a déjà de quoi le détendre sur la table. On a tout préparé avec Chris avant son arrivé. Boissons sucrées, non sucrées, eau, gâteaux, graines, noix et j’en passe. Quand on ne sait pas ce que la personne aime, on essaye de tabler large.

Pour essayer de le détendre je lui lance un grand sourire alors qu’il me tend la main pour serrer la mienne. Je le laisse alors se présenter et éclate de rire lorsqu’il me demande où est la petite fille. Et voilà, maman a ENCORE abusé sur les termes employés j’en suis certaine. Devant le malaise du garçon, je me reprends, mais mon kiné ne m’aide pas en se gaussant dans la cuisine, comme si nous ne pouvions pas l’entendre.

« Pardon, excuses-moi, ce n’est pas poli. Tout d’abord je suis enchantée ! Pour ma part, je suis Anya. » dis-je pour me présenter, avec un sourire tremblant sous l’envie irrépressible de rire. « Ensuite, je suis désolée mais il n’y a pas de petite fille. C’est moi la nécessiteuse ! Alors je sais que cela peut te paraître étrange mais j’ai été dans le coma pendant quatorze ans. Du coup j’ai pas eu le temps de passer mon diplôme de fin de lycée. Et comme j’aimerais rattraper les cours loupés en vue de l’examen, ma mère a trouvé l’occasion de parler de moi et de demander de l’aide pour moi. Je ne lui en veux pas mais visiblement elle a encore utilisé le mauvais vocabulaire. Pardonne-lui. » je respire et nous sert deux verres d’eau. « Si tu ne te sens pas à l’aise et que tu ne souhaites finalement pas m’aider, je comprendrais, ne t’en fais pas. » j’ajoute en lui tendant le verre tout en espérant qu’il se sente moins stupide. « Par contre je veux bien la peluche » je finis par lancer. « J’adore les licornes, je suis encore une grande enfant ! »

Le pauvre doit croire qu’il est tombé dans une maison de fous ! C’est presque le cas. J’ai vraiment du mal à m’y refaire une place, surtout avec les parents, avec maman qui me sur-couve comme si j’allais retomber dans le coma dès maintenant. Quelque part, je peux la comprendre, d’un autre côté c’est hyper étouffant et je trouve son comportement assez malsain. Ce qui me rassure c’est que ange gardien est du même avis. Enfin, l’idée, pour le moment, c’est de trouver quelqu’un qui pourra me passer les cours et m’aider à avancer rapidement dans le programme en vue de l’examen. C’est absolument tout ce que je demande.

Bon bah sur ce coup là, je sens mes joues passer au rouge et intérieurement je suis en train de me traiter de tous les noms. C’est vrai que maman ne m’a pas dit l’âge de la personne que je devais aider. C’est aussi le souci avec maman, elle va vite, explique vite, parle beaucoup, mais au fond, ne dit pas grand-chose pour l’esprit embrumé d’une personne qui se lève juste. J’essaye de lui sourire timidement pour cacher ma gêne qui est quand même, avouons-le, conséquente.

Je vais bredouiller des excuses mais je crois que les 14 ans de comat m’oblige plus a ouvrir la bouche et faire autant de bruit qu’un poisson rouge hors de son bocal. 14 ans de comas !!!!! ??? Elle n’a pas que du loupé des années de lycée, bon et de bizutages humiliants. Au moins elle me parle clairement, je ne sais pas depuis combien de temps elle est « éveillée » mais c’est un miracle qu’elle n’est pas de séquelles. Quoique… ses jambes, c’est a cause du coma ou de ce qui l’a mise dans le coma ? Etant un garçon n’aimant pas mettre mal a l’aise les gens, et surtout, étant vraiment triste pour elle, je garde cette question pour moi.

« Tu sais maman est aussi du genre évasive, c’est possible que j’ai fait des interprétations. »

Je lui tends la licorne après un petit bug, j’avais oublié la peluche, et lui sourit :

« Je l’ai choisi pour toi, même si je t’imaginais avec plus de tresses dirons-nous. Et ne t’inquiètes pas, je vais t’aider, ca me fera réviser en même temps, et puis… c’est ca ou donner des cours de vocabulaire a nos mère. »

Oui j’essaye de faire un peu d’humour pour dédramatiser la situation. Au moins elle n’a pas l’air de trop mal prendre ma bourde.

« Ou est ce qu’on peut s’installer ? »

Question conne en voyant la table bien garnie, mais bon, pas évident pour moi de faire un lien avec de la nourriture et travailler.

« Je pense que l’on va faire un point sur ton niveau actuel pour que je sache par où commencer ? Tu as des matières a privilégier ou c’est tout le programme ? »

Il me fait rire finalement ce gosse. Enfin ce gosse, façon de parler puisque mentalement nous devons avoir à peu près le même âge. D’ailleurs, voici mon challenge principal… réunir ma tête et mon corps. Acquérir la maturité que l’on gagne à force d’expériences non vécues pendant quatorze ans promet d’être une chose difficile. D’autant que j’ai bien peur que certains s’en servent comme une excuse pour me discréditer. Je soupire finalement à cette constatation mais aussi de voir que nos deux mères ne s’entendent visiblement pas pour rien.

« Au moins on sait qu’elles ne s’entendent pas pour rien ! » dis-je en souriant pour détendre l’atmosphère en lui demandant la peluche que je trouve très jolie par ailleurs.

« Merci » dis-je lorsqu’il me la tend avant d’éclater de rire lorsqu’il me dit comment il m’imaginait. Certes, nos mères n’ont pas dû y aller de main morte concernant ma description. J’imagine d’ici maman pleurer en évoquant « sa toute petite fille enfin sortie du coma ». Pff, ça me déprime d’avance de me dire que je vais devoir supporter son côté louve encore pendant des mois, peut-être même des années selon comment ma rééducation se passe. Non non non ça je ne veux pas y penser ce n’est juste pas possible ! PAS possible !

« Euh pardon, j’étais partie dans mes pensées… » dis-je en sortant mon regard de la contemplation de la coiffure du jeune garçon. « On s’installe ici ! Si tu as faim ou soif, sers toi fais comme chez toi ! Nous avons tout préparé avec Chris. Alors n’hésite pas ! »Oui il s’agit bien de Chris le molosse qui t’a presque fait faire pipi dans ton calçon.

« Oui ça me paraît bien comme début. J’ai aussi énormément besoin de faire travailler mon cerveau. C’est un muscle comme un autre après tout. Donc je fais travailler déjà personnellement ma mémoire, j’ai encore quelques trous, mais il faut, je pense que je travaille la logique et fasse quelques problèmes. Du coup, les sciences me semblent plutôt pas mal pour un début. »

En revanche ce que je n’ai pas dit au nouveau venu c’est que j’ai une écriture toute pourrie… Je remuscle mes bras mais ce n’est pas encore au top pour avoir une bonne tenue du stylo. Je ne sais donc pas si je dois le prévenir de s’accrocher bien solidement les yeux dans ses globes auriculaires s’il doit me lire à un moment donné. Et puis il va falloir revoir tout le programme mais je préfère me concentrer sur quelques matières plus compliquées.