Depuis la diffusion d'une vidéo montrant un homme faisant de la lumière avec ses mains se faire tuer par un autre avec un poignard, le monde s'interroge. Existe-t-il autre chose que des hommes sur terre ?
Je maintiens la pression sur le crane d’un suspect avec mon genou, lui passant les menottes. Un coup d’œil rapide à ma montre. Je suis en retard. Trop en retard. Elle doit… Elle doit penser que je veux la fuir mais… Foutu urgence de mes deux ! Je me retire et relève le suspect “ T’as le foutu droit de garder le silence. Toute la merde qui sortira de ta bouche pourra être retenu contre toi dans un tribunal et… Vaut foutrement mieux que tu te planques dans les jupons de ton avocat parce que tu viens de me faire rater un rencard, alors t’as juste à prier que mes collègues veuillent bien s’occuper de toi avant que je ne te refroidisse sur le champ et essaye de rattraper les meubles parce que je n’ai pas une minute de plus à t’accorder ! ” Hallelujah, les collègues en uniforme. Je pousse mon suspect vers eux et leur dit “ Occupez-vous en, j’suis en week-end ! ” et sans attendre une seconde de plus, je quitte les lieux de l’arrestation, soit cette ruelle humide et glauque.
Je monte dans ma voiture et remarque que le gyrophare est encore dessus et branché. Il me faudra au moins ça pour essayer d’intercepter Adaline avant qu’elle ne s’impatiente pour de bon. Je rejoins le restaurant où nous avions convenus d’un rendez-vous. Qu’on se le dise, ce n’est pas un rencard. Même si les fleurs sur ma banquette arrière peuvent le faire croire et qu’elles ont pris un sacré coup de chaud… Tout en traversant la ville à toute vitesse, usant de ma fausse urgence et de ma sirène pour me faire un passage, je me recoiffe en jetant un œil dans le rétroviseur, et m’assure que mon col de chemise ne soit pas mal fermé ou comprimé par ma veste en cuir. Aucun signe de bagarre en vue ? Mince… Là… un début d’hématome sur le coin de la joue…
Lorsque j’arrive enfin devant le restaurant ce dernier semble se fermer, les néons s’éteignant peu à peu. Je frappe mon volant en m’insultant intérieurement de tous les noms. Mais en relevant les yeux, j’aperçois Adaline au loin, se dirigeant vers l’arrêt de bus. Je descends de ma voiture et la rattrape en courant. Lorsque je suis assez proche, je lâche alors “ Adaline ! ” Je pose ma main sur son épaule pour l’arrêter et me placer face à elle “ Adaline… Je… Je suis désolé j’ai eu une urgence et… Pardonnez-moi… Je… Laissez-moi vous emmener ailleurs… Genre… Euh… ” Je regarde ma montre et écarquille les yeux. Pour sûr que je ne trouverai rien de convenable à une heure pareille. “ Je vous dois bien ça… Je vous invite à venir manger chez moi et… Je promets d’éteindre mon téléphone ou quoique ce soit qui nuirait à notre soirée… Mais laissez-moi me rattraper, s’il vous plaît ! ”
Je regarde l'heure une fois encore et un soupir s'échappe de mes lèvres. Peut-être que je n'aurais pas dû y croire, peut-être que j'aurais dû faire comme si de rien était. Ai-je était stupide de m'imaginer que je pourrais plaire ? Au delà de celle que je suis d'origine ? Je n'en sais rien. Un monde complet nous oppose, des milliers d'années aussi. Je suis née à une époque particulière, une époque totalement différente. Peut-être que je suis encore trop dans le passé. Pourtant... Me serais-je trompé la dernière fois ? Je me souviens bien qu'il m'a proposé de faire une sortie, je suis pas encore stupide non ? Je me suis gourée ? Ou alors c'était juste parce que j'avais demandé avant et qu'il m'avait dit non alors il s'est reprit en voyant mon attitude ? Mon dieu j'ai l'air stupide maintenant et je ne sais même plus comment gérer. Bonjour l'angoisse, merci les questions sans réponses et me voilà comme une conne. Je finis par appeler Grey et lui expliquer ce qui se passe. Il se marre à l'autre bout du fil. Honnêtement, il a de la chance que je sois du genre toujours souriante, parce que je suis pratiquement prête à lui sauter au visage. J'essaie d'avoir son avis, dur d'ailleurs vu qu'il est mort de rire dans son coin, ça me soûle tellement que j'ai très très envie de me téléporter juste pour lui mettre mon poing dans la figure et le regarder se plier en quatre, merci les meilleurs amis ! Après quelques minutes à attendre, il finit par se calmer et me répondre. « Tu as dis qu'il était flic c'est ça ? Il a peut-être eu un empêchement et il va arriver plus tard. » Je grimace. « Un sms ça coûte rien non ? » Je me sens gourde et gauche franchement c'est bien la première fois que je me sens aussi indécise.
« Ada, ça fait combien de temps que tu n'es pas sortie avec quelqu'un ? Ou que quelqu'un t'a attiré ? » Je lui dirais bien que cela fait plus de deux cent ans, parce que c'est vrai, mais il me prendrait pour une dingue. « En fait, ça fait, j'en sais rien moi, longtemps ! » Il ricane à l'autre bout du fil. « Tu t'enfermes tellement dans tes bouquins que tu oublies le monde. Choupette, il faut que tu sortes, que tu vois du monde. Laisse lui le temps d'arriver. » Okay, je veux bien lui laisser le temps d'arriver, mais quand même. Je remercie Grey et le laisse tranquille, j'ouvre un livre en attendant tranquillement le jeune homme qui m'a donné ce rendez-vous. Après tout, c'est lui qui l'a proposé, donc il devrait arriver normalement non ? Je pousse un soupir et quelques têtes se tournent vers moi. Je peux presque sentir leur pitié alors que je commande un autre soda et que j'attends tranquillement. Tant que je commande, je peux rester, c'est déjà ça. L'horaire défile, moins lentement que je ne pourrais le penser et finalement l'heure de la fermeture arrive. « Eh bien, j'aurais au moins essayé. » Il faut croire que les relations, ce n'est pas pour moi. Un léger sourire sur le visage et je paie mes consommations en m'excusant d'avoir garder une place pendant tout ce temps. Le jeune homme à l'accueil me répond que celui qui m'a fait attendre est un idiot et dans un rire, je lui dis qu'il s'agissait d'un ami et qu'il a probablement oublié. Mais qui attendrait autant un ami hein ? Je souris et lui laisse un pourboire, je peux largement me le permettre, autant en faire profiter quelqu'un.
Je me dirige tranquillement vers l'arrête de bus. Ce n'est pas que je ne sais pas conduire, mais je ne suis pas douée avec un volant. À croire que les années ont passées et que je n'ai pas changé d'un pouce. Je secoue la tête tranquillement, alors que finalement j'entends mon prénom. Quelqu'un pose la main sur mon épaule et par réflexe, j'attrape la sienne, prête à le faire valdinguer, comme je l'apprends depuis bien des années maintenant. Sauf que je m'arrête au moment où je reconnais cette voix. Je le vois qui se met face à moi et le regarde haleter comme s'il venait de courir un marathon. Je remarque clairement l'hématome à son visage et hausse un sourcil. « Que vous est-il arrivé bon sang ? » Je n'ai pas le temps d'entendre la réponse que le voilà repartit. Je souris doucement. Je ne m'étais pas gourée, et cela me rassure un peu, parce qu'en fait, je l'aime bien et j'ai envie de mieux le connaître. « Va pour une soirée chez vous alors, mais calmez-vous, il n'y a pas mort d'homme. Je sais que votre boulot est prenant. J'ai attendu sagement sans faire de remarque. » Ce sont les autres qui m'ont regardé avec pitié, mais au fond, je n'ai pas attendu pour rien. « J'imagine que c'est vous qui conduisez. » Un petit rire et je pose ma main sur sa joue. « Quand vous aurez repris votre souffle, on pourra y aller si vous voulez. Mais une fois chez vous, laissez moi soigner ce vilain hématome. » J'ai presque envie de laisser ma magie s'occuper de lui, mais ce serait un peu trop flagrant. Disons que ma magie de soin est voyante... Je souris doucement et attend de nouveau patiemment, qu'il retrouve son souffle.
A peine suis-je en face d’elle qu’elle s’inquiète pour une égratignure. Je m’autoriserai un sourire lorsque j’en aurai fini avec les excuses et ce sentiment de culpabilité. Je reprends mon souffle souriant à sa main sur ma joue “ Ne vous en faites pas, il m’en faut plus qu’une course à pied, un coup sur le crâne et qu’une arrestation pour m’épuiser. ” Je me redresse posant ma main sur la sienne et la garde dans ma paume. “ Mais j’imagine que je devrais vous laisser jeter un œil à cette blessure pour vous rassurer et… Je vous en prie… Acceptez mes excuses car je m’en veux terriblement pour ce faux bond. ” Mon sourire s’efface pour laisser place à une moue.
Je me perds dans son regard, me demandant ce qu’il en reste de ce lieutenant Hewitt face à de tels yeux. Cette beauté est sans pareille. Je serais croyant en une quelconque force magique ou divine en ce monde, je sais qu’elle en serait la source. J’ai l’impression de ne rien pouvoir lui cacher, d’être pris au piège dans un flot d’émotions qui me dépassent, et d’être transporté vers un lendemain meilleur. Ça me rassure en quelque sorte. Elle est… Non, je ne vais pas me lancer dans ce genre de chose alors qu’on est au milieu d’une rue de San Francisco.
“ Nous ferions mieux d’y aller. Je suis peut-être un bon cuisinier, mais je ne sais pas accélérer la cuisson des aliments. ” Tout en gardant sa main dans la mienne, je me place à ses côtés pour marcher en direction de mon véhicule. Est-ce déplacé ? Sans doute. Dois-je lâcher sa main ? Je devrais… A contre-cœur, mais je le fais laissant toutefois ma main non loin.
Lorsque l’on arrive prés de la voiture, je me rends compte que j’ai laissé le gyrophare et grimace. C’est clairement moins bien que le carrosse qu’elle mérite. Toutefois, je lui ouvre la portière passagère et attend qu’elle entre pour revenir à ma place au volant, ôtant l’avertisseur pour le placer dans la boite à gant après l’avoir éteint. “ Je… Je n’ai pas eu le temps de… pardonnez-moi, elle n’est clairement pas… Enfin… Elle est pas rangée mais… ” dis-je en ôtant cette bouteille d’eau à ses pieds pour la balancer à l’arrière pour ensuite replacer le paquets de biscuits dans mon vide poche. Je relève les yeux sur elle “ J’aurai dû le faire avant d’arriver mais… Vous savez… L’urgence et je passe souvent du temps dans cette voiture pour… Enfin… Pour le boulot et… Bon… J’en dis trop, c’est ça ? Allons-y. ” Moins de parlote et plus d’actions. Je démarre le moteur et me rengage dans la circulation.
Me voilà mère poule, depuis quand est-ce que c'est comme ça ? Je ne saurais le dire. Peut-être depuis toujours, mais ceux avec qui je sortais avant n'était que des abrutis d'Occultiste tellement sûre de leur position qu'il n'avait pas la décence de s'excuser lorsqu'ils étaient en retard quelque part. Que vaut quelques minutes supplémentaires quand on a l'éternité pour faire ce qu'on veut franchement ? Pour moi, le temps est une denrée que je maîtrise, malgré mon immortalité, je suis assez ancrée dans ce monde pour savoir que cette denrée que nous considérons comme négligeable ne l'est pas pour tout le monde. Le "je pourrais bien le faire plus tard" n'a pas du tout le même goût, ni la même texture pour nous. Ce que les humains voudraient faire dans quelques jours, nous avons des centaines d'années pour le faire, si la mort ne nous fauche pas au détour d'une rue. Je souris légèrement, mes gestes sont légers, la douleur sourde de mon cœur s'est apaisé et je me sens plus légère, il n'empêche que je me demande si je fais bien. Est-ce que je devrais réellement me lier avec un humain ? Et quand je ne vieillirais pas et qu'il se demandera pourquoi, que se passera-t-il ? J'ai déjà peur d'un avenir d'une histoire qui n'a même pas commencé. Comment je pourrais faire ce genre de chose ? Pourtant, tout est balayé, oublié, alors qu'il reprend une nouvelle fois la parole pour s'excuser et qu'il m'embarque, sa main dans la mienne. Je savoure la texture, tantôt douce, tantôt calleuse. Je m'imprègne de sa chaleur, sauf que ce moment ne dure pas assez longtemps avant qu'il ne disparaisse.
J'aimerais reprendre sa main dans la mienne, mais j'imagine que le geste serait déplacé, que ça ne se fait pas. Deux cents ans... et les fois d'avant n'ont rien eu de remarquable. Quelques personnes, ici et là, une tous les cent ans et ce durant un an ou deux à tout casser. Dur de partager la vie de quelqu'un quand on a plus de huit milles ans et qu'il reste encore de nombreuses et longues années devant nous. C'est toujours compliqué de se faire aux règles humaines, celles qui régissent une vie éphémère alors que la nôtre ne l'est pas le moins du monde, sauf si nous croisons un traqueur qui sait qui nous sommes. Pourtant, malgré toutes mes réticences, malgré toutes les bonnes idées de ne pas continuer ce début de relation, je dois bien admettre que je n'ai aucune envie de renoncer, pour une fois, j'ai même envie de me battre pour ça. Je souris pour moi-même. Stupide Adaline, voilà que tu tombes réellement amoureuse, et la dernière fois ne t'as pas réussi. Mais le temps à passer, le monde à changer et j'ai moi-même évolué. Jeune, j'avais envie d'une famille, des enfants, je voulais être "normale". Aujourd'hui j'accepte ne pas l'être, j'accepte cette différence, même si elle me pose des soucis, pourtant, j'ai toujours envie de devenir mère. Ça crains ! Je secoue la tête doucement et le laisse m'ouvrir la portière, laissant alors mes pensées filer, enfermant mes incertitudes dans le coffre de mon esprit. Je rigole doucement devant sa façon de parler, cette incertitude qui creuse ses traits. « Pas besoin d'être aussi formelle vous savez. Je ne suis pas du genre douillette. »
Et ce n'est rien de le dire. Je n'ai rien d'une princesse. Moi, je suis juste une femme qui survis, une de celle qui sait se battre mais ne l'utilise qu'en dernier recours. Une de celle qui sourit, tend la main lorsque cela est nécessaire et qui s'inquiète du monde et de ses habitants. Je n'ai rien à voir avec les sauvages de mon peuple qui veulent absolument régner sur tout et surtout, je n'ai aucunement envie que qui que ce soit me serve comme si j'étais une noble. Je crois bien que je ne supporterais pas ce genre de chose. « Vous n'en dites jamais trop vous savez, mais vous vous inquiétez vraiment trop ça c'est certains. » Je lui fais un sourire doux alors qu'il nous conduit je ne sais où. Je suis en voiture, avec un inspecteur de police, pour aller chez lui... Ouais il m'arrive aussi de faire ce genre de chose. Bah, ce n'est pas comme s'il allait me faire quoi que ce soit. Je crois bien qu'il ne sait pas trop quoi faire avec moi en fait. C'est comme s'il me prenait pour un bibelot fragile qu'il ne faut pas briser. Je sais bien que je suis plutôt quelqu'un de doux, mais si je lui disais que j'avais survécu à plusieurs attaques de traqueur, est-ce qu'il me rirait au nez ? Ou me croirait-il ? Je ne suis pas certaine qu'il apprécierait la blague et pourtant, ça n'en est pas une. Je secoue mes pensées et décide de parler d'autres choses que de la possibilité de lui dire que je n'ai rien d'humain. « Alors qu'est-ce qu'on va manger de bon ? Et pour info, je compte bien donner un coup de main. Il est hors de question que vous fassiez tout, surtout avec votre magnifique coquard ! » Je lui souris doucement, j'ai hâte de passer du temps avec lui. Qu'est-ce que ça veut dire exactement ce sentiment hein ?
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