01. Orpheline dégagée de son foyer, démunie dès son arrivée. Elle n’était pas désirée ni enviée. Juste un poids à expulser. Une bâtarde dont il fallait se débarrasser. Car plus facile à gérer. On l’a balancée de foyers en foyers pour lui offrir un bonheur faussé. Mais elle ne s’est jamais adaptée cette poupée sur ce grand échiquier, car son corps est brisé, car on ne pourra jamais lui donner cette humanité. Seul frais que lui a offert ses parents avant de se barrer. 02. La solitude plus grande alliée depuis sa jeunesse détresse, la poupée elle n’a cessé de se renfermer sur elle même face à cette culpabilité. Celle de ne pas avoir droit à une famille, celle de ne pas avoir été assez pour qu’on la garde dans un foyer. Car elle était trop différente la démente. Trop particulière pour s’ancrer à cette société. Trop étrange pour qu’on s’attache à sa gueule d’ange. 03. Elle a grandi pourtant la jolie dans cette obscurité à laquelle elle s’est accoutumée. Dans ce silence et ce manque de sentiments flagrants. Préférant écrire que parler, de toutes ses émotions entremêlées. Elle dessinait Kane avec cette envie de s’inventer une vie. De devenir l’héroïne de son propre conte, plutôt que de s’accrocher à son histoire dérisoire. A ce monde qui lui inspire que l’indifférence et la violence. 04. Puis y’a eu cette faim, ce désir insatiable de se nourrir d’autre chose que cette bouffe pourrie. Cette douleur ahurie qui l’a obligée, l’a poussée à devenir cette folie. Elle avait envie de sang la beauté, de croquer la vie d’autrui comme une désespérée face à une dépendance jamais testée. Junkie pour quelques gouttes rougeâtres, droguée pour cette saveur âcre. Et plus de choix face à cette souffrance d’effroi. Alors elle a volé des poches d’hémoglobine pendant des années alors qu’elle n’était qu’une môme paumée. 13 ans et déjà damnée. A être le monstre de son propre conte. 05. Le secret a été compliqué à garder. Se nourrir et se contenter de vivre. Comme tout le monde. Devenir quelqu’un comme un autre. Juste s’effacer au milieu de cette société qu’elle a tant de mal à cerner. Elle a simplement observé Kane tous ces pantins désarticulés. Ces gens qui râlent contre la morosité mais qui ne sont pas capables de la briser. Pour mieux comprendre, mieux s’adapter, devenir ce qu’on voulait d’elle. Et elle a planifié son histoire en des chapitres pour se donner un peu d’espoir. Pour qu’à sa majorité, elle trouve un moyen de se cacher au travers de la fragilité de l’humanité.  06. Le corps moulé dans la dentelle, le sourire en guise de merveille, les prunelles figées sur la prochaine proie à dévorer. Poupée qui attend son repas avec émoi, les jambes croisées et le rictus carnassier. Pute qui sait se faire désirer, qui joue de son charme pour attirer les brebis égarées. Elle a le goût acidulée des princesses immaculées malgré sa fonction dépravée. Comme une contradiction qui impose la fascination. Elle attend sagement les frictions et les frissons. Quand elle impose la peur pour créer la terreur. Clients qui rêvent d’un peu de libération entre les reins de l’abomination. Ils s’enferment dans la toile de l’araignée, quand ils sont à sa portée. Fragiles contre sa carcasse damnée, quémandant pour un peu de toucher. Et le charme se défait. Quand l’escroc apparait. Qu’elle croque dans leurs chairs pour persister. Quand elle menace de les tuer si jamais ils osent s’exprimer, ou de les balancer à leurs chères fiancées.07. Risques accentués, lassitude accumulée, elle a parfois envie d’en finir la jolie de cette vie. De juste tout stopper pour comprendre enfin ce que ça fait. Mais elle n’a pas conscience de cet univers. Des lois instaurées pour la protéger, pour l’empêcher de se terminer. Alors elle erre plus qu’elle espère. Dans cet enfer sans clarté, de ce paradis damné. Car elle ne sera jamais comme tout le monde. C’est ainsi, c’est sa condamnation et sa malédiction… 08. Kane, la brebis égarée, la jolie folie, douce et futile Kane. Un mensonge parmi la réalité, une fausseté au milieu de la vérité. Une illusion si divine et si perfide d'une beauté cruelle et avide. Elle qui ressemble à une venimeuse pureté elle n'est qu'un déchet que la vie a su façonné mais elle n'en ressent pas même la culpabilité car elle est ce que les gens ne peuvent fixer. Un danger au sourire guilleret, le diable déguisé en poupée. 09. La peur se glisse sous la peau, écarquille grand les prunelles terrifiées quand l’emprise se renferme sur la proie attitrée. Plus de pitié, plus de compassion pour ces avortons. Juste cette soif insatiable, cet instinct bestial. Et cette prison d’illusions qu’elle crée pour horrifier ses clients, pour leur voler un peu de sang. Elle use de son don et elle en abuse. Elle qui se prétend pute mais qui est encore vierge. Elle manipule son corps pour troubler le décor. Mais le palpitant ne bat plus depuis longtemps. Jamais de relation, jamais eu l’envie de sombrer pour une âme. La solitude bien trop ancrée, la sécurité obligée. On la touche souvent la poupée, on se permet de glisser quelques phalanges près de son intimité pour essayer de l’éveiller, on l’embrasse lubriquement dans l’espoir qu’elle ouvre ses jambes. De la faire brûler de saveurs sucrées. Mais y’a pas de désir, pas de volupté juste cet appétit ensanglanté qui se réveille dès qu’on se permet de l’érafler. Rien d’autre que ce néant béant, que ce vide planant.  10. Puis y’a eu l’accident. L’exception brutale, la défense létal. Quand un de ses clients a dérogé à sa peur avec une excitation étrange. Malsain aux doigts pernicieux, aux désirs dangereux. Il n’a pas été effrayé par l’envie de sang, il ne s’est pas arrêté face aux menaces oppressantes. Il a juste essayé… Il a juste réclamé ce pourquoi il l’avait payé. Retournant la carcasse pour prendre la pureté, pour soutirer toute sa fierté. Il l’a foutu à terre pour la forcer, l’a déshabillé sous ses hurlements étouffés. Posant une lame sur sa trachée pour l’empêcher de s’échapper alors que les sanglots s’écoulaient sur son visage poupin. Et le sang a giclé sous l’agitation, sous le danger tremblant. Lorsqu’elle a mordu la peau de son bourreau pour s’échapper. Mais qu’elle ne s’est pas arrêtée, qu’elle a avalé chaque goutte de son sang en pleurant. Face à sa propre peur démunie, face à son hystérie. Avec cette impression d’être sale, d’être une crasse. Elle a vrillé la poupée, elle a pris une vie pour sa propre survie. Et ça la hante chaque nuit…

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